En ce temps-là j’enseignais
l’anglais, et j’avais, entre autres, une brillante et très agréable classe de 1ère
scientifique à laquelle j’avais fait étudier un extrait du livre intitulé
« L’ami retrouvé » de Fred Uhlman, qui raconte précisément l’histoire
d’une amitié entre deux jeunes garçons que le nazisme allait momentanément
séparer.
Sur ce, j’appris qu’une
exposition sur Anne Frank était présentée en ville, et ma collègue de lettres
et moi-même décidâmes d’y emmener cette classe afin d’approfondir leurs connaissances
de ce contexte.
L’exposition s’avéra
intéressante, mais plus encore la rencontre que nous y fîmes d’un couple de
retraités.
Voyant l’intérêt de nos
élèves et entendant leurs questions face aux panneaux de l’exposition, le
monsieur s’approcha de nous et proposa de nous en dire plus sur la période des
camps – en annonçant d’emblée : « J’y étais ».
Il commença à parler à nos
élèves qui s’étaient tous agglutinés autour de lui.
Le temps passa et il
racontait. Personne ne bougeait plus. Il racontait, et nous étions interdits. Un
silence total l’environnait tandis qu’il racontait, expliquait, décrivait.
Mais l’heure tournant, il
fallut envisager de retourner au lycée - non sans demander auparavant à ce
monsieur s’il accepterait d’y venir et de continuer à dire ce qu’il avait vécu.
Rendez-vous fut pris, et
c’est ainsi qu’Herman Idelovici entra dans notre vie.
Herman avait été déporté en
septembre 1942, à l’âge de 15 ans avec toute sa famille, ses parents, ses deux sœurs
cadettes, sa jeune tante qui était enceinte et le mari de celle-ci. Arrivés à
Auschwitz, seuls lui et son père furent « sélectionnés » pour aller
travailler. Tous les autres membres de sa famille furent immédiatement gazés. Herman
connut 7 camps de concentration. Il fit « La marche de la mort » et y
survécut. Il fut libéré en janvier 1945 par les Américains. Son père, qui
l’avait soutenu et protégé pendant toutes ces années, fut fusillé à Buchenwald
quelques jours seulement avant la libération des camps…
Herman n’avait jamais parlé
publiquement de son expérience concentrationnaire. En 1992, c’est à dire
exactement 50 ans après, il a ouvert sa mémoire et transmis son histoire
douloureuse pour la première fois, à nos élèves. Le moment était venu de briser
le mur du silence que, par force, les survivants juifs s’étaient construits
pendant toutes ces années, pour diverses raisons – la première étant que
personne ne souhaitait vraiment écouter ce qu’ils avaient à rapporter.
Inversement, si quelqu’un a
jamais vécu une expérience insupportable, il, ou elle, sait la souffrance que
l’on éprouve à la revivre par le récit. Certains en sont totalement incapables.
Mais Herman a surmonté tous ces obstacles, et su répondre avec la plus grande
sincérité à toutes les questions, y compris les plus délicates, les anticipant
même parfois, afin de faire comprendre aux jeunes comment une telle horreur a
été possible, et pourquoi il faut toujours être vigilant afin que jamais elle
ne se reproduise.
À la demande de mes
collègues d’histoire, Herman est revenu au lycée, année après année, apportant
des documents, préparant ses « conférences », parlant sans détours à
toutes sortes de publics – et à chaque fois les jeunes, au bord des larmes,
allaient le remercier d’être venu.
Ayant fait sa connaissance,
mon époux Jacques entreprit, avec son collègue d’audio-visuel Gérard Camy, et l’aide
de Jean-Pierre Ragot du CRDP de Nice, de l’interviewer et de le filmer, afin
que son témoignage demeure, et que les professeurs d’histoire puissent
l’utiliser dans leurs cours. Ce fut fait, et cette réalisation, intitulée Automne 42, (quelques détails ici) a également permis de créer et d’amplifier
des liens forts d’amitié entre Herman, son épouse Gabrielle, et nous deux.
Et à présent, on peut
également lire des extraits du script ici
en déroulant la page.
Et ici aussi.
Herman, le battant, a lutté
très fort contre un méchant cancer, qui a fini par l’emporter le 14 avril,
quelques jours avant son anniversaire. Il aurait eu 85 ans…
Ainsi que me l’a écrit hier
un des témoins de cette première rencontre, l’écrivain et traducteur Sébastien Cagnoli, alors âgé de 15
ans : « Je continuerai à penser à lui, c’était une de ces rencontres
qui font partie de nous pour toujours ».
Tout comme les Justes que j’évoquais
si récemment, les témoins de cette époque de barbarie disparaissent les uns
après les autres. C’est la dure loi de notre mortalité. Mais leur empreinte
demeure, surtout lorsqu’en plus d’avoir été des précieux passeurs de mémoire,
ils ont été des êtres rares, séduisants, intelligents, généreux, et soucieux de
protéger leurs proches au-delà de la mort. Tel était notre ami Herman
Idelovici, et nous ne l’oublierons pas.
En dépit des horreurs pendant sa jeunesse, j'ai l'impression que Herman a fait une impression spéciale avec les jeunes. En témoignage, Herman a trouvé une paix personnelle et de nombreuses amitiés.
RépondreSupprimerJoseph
C'est vrai Joseph. Il savait leur parler, et ils le comprenaient. En plus, il insistait toujours sur la nécessité de dépasser la haine, de ne pas rejeter les autres, de refuser la notion de vengeance, ce qui rendait son message particulièrement utile. Ils leur disait aussi de se rappeler que, une fois lui parti, ils seraient les détenteurs de son témoignage. Nous le sommes donc tristement devenus.
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